Les Quatre Piliers Dominicains En Temps De Pandemie, Bui Chu, Vietnam
Par : Sr Agnes Lien Do
Dominican Sisters of Bui Chu, Vietnam
La question actuelle qui préoccupe tout le monde, qui que nous soyons, où que nous vivions et quelle que soit la religion à laquelle nous appartenons, est le COVID19. Cette préoccupation mondiale nous touche tous de plusieurs façons. Selon le Worldometer, jusqu’à présent (6 novembre 2020), 1.241.878 décès ont été enregistrés parmi 49.171.281 cas de coronavirus[1]. Le monde entier est en deuil, car des millions de personnes sont décédées à cause du COVID19. L’insécurité est grande lorsque des millions de personnes perdent leur emploi ou leur entreprise alors que les scientifiques n’ont toujours pas mis au point de vaccin. Lorsque la plupart des églises, mosquées et temples ont été contraints de fermer, les gens ont même commencé à s’interroger sur la présence et la puissance de Dieu. En tant que filles et sœurs de cette famille mondiale et menacées par la même pandémie, que pouvons-nous faire, en tant que sœurs dominicaines, pour remplir notre mission de prêcher la bonne nouvelle ? Quelle est l’importance de notre vocation de sœurs dominicaines en ce moment ? Quel est le défi pour notre mission alors que le monde entier est confronté à la tristesse, la mort, la perte et l’insécurité ?
Alors que je suis témoin de la souffrance des gens et que le COVID19 se répand dans le monde entier, la question « comment puis-je apporter la bonne nouvelle alors que l’avenir est imprévisible pour tous ? », résonne dans mon cœur et dans mon esprit. En cherchant une réponse, les quatre piliers de notre vie dominicaine ont été pour moi une aide surprenante pour me renforcer, être connectée et être guidée pendant cette période difficile. Voici comment je vois que ces quatre piliers jouent un rôle important en nous guidant pour être les prédicatrices aimantes de la Bonne Nouvelle pour le monde.
1) La prière : parler de la prière semble si évident pour nous toutes, mais ce n’est pas parce que nous sommes dans des moments difficiles que nous devons prier. La prière est notre nourriture quotidienne et nous vaccine contre toutes sortes de maladies spirituelles. La prière nous aide à nous concentrer sur l’amour de Dieu et nous permet de nous rapprocher de Dieu dans notre vie quotidienne. La prière est si importante pour nous aider à apprendre qui est Dieu et qui nous sommes dans notre relation avec Dieu et avec les autres. Par exemple, le Psaume 103 nous rappelle notre fragilité et que Dieu est compatissant et toujours fidèle dans son amour : « L’homme ! ses jours sont comme l’herbe ; comme la fleur des champs, il fleurit : dès que souffle le vent, il n’est plus, même la place où il était l’ignore. Mais l’amour du Seigneur, sur ceux qui le craignent, est de toujours à toujours, et sa justice pour les enfants de leurs enfants, pour ceux qui gardent son alliance et se souviennent d’accomplir ses volontés. » (Ps 102 (103), 15-18).
Même en ayant prié ce psaume des milliers de fois, lorsque notre vie est saine et sauve, nous ne sommes pas toujours attentives à ce que nous disons. Mais, maintenant que la vie elle-même est fragile, ce psaume nous permet d’écouter ce que Dieu nous dit de façon nouvelle et, en retour, nous sommes capables de conduire les gens à Dieu. Saint Thomas d’Aquin a souligné que l’œuvre principale des dominicains était « contemplare et contemplata aliis tradere » (contempler et partager avec les autres les fruits de notre contemplation). Il est vrai, comment pouvons-nous partager avec d’autres personnes ce que nous n’avons pas ? Afin de guider les gens à faire confiance à Dieu, nous devons d’abord faire confiance à Dieu et grandir dans l’amour de Dieu. Bien sûr, nous ne pouvons pas accroître notre confiance en Dieu sans avoir une relation étroite avec Dieu par le biais de la conversation quotidienne ou de la prière.
La prière est aussi le temps pour nous d’apporter à Dieu les besoins et la douleur des autres. Le fruit de notre prière pour les autres est que nous devenons plus compatissants et que nous souffrons plus avec eux ; ce qui fait grandir notre amour pour Dieu et notre amour pour les autres. La prière est notre vocation et c’est notre puissant bouclier. Une fois que notre vie est centrée sur Dieu comme source de vie, aucune peur ne peut exister en nous. Lorsque l’humanité se sent impuissante et fragile, seul Dieu peut nous donner la force, l’espoir et la foi pour traverser cette période.
2) L’étude : le deuxième pilier est également important pour nous permettre de résister à la peur et au stress du COVID19. Pour de nombreuses personnes, il peut être difficile de se concentrer sur l’étude, considérée comme une source supplémentaire d’anxiété, mais nous dominicaines, l’étude est notre joie, elle nous apporte l’espoir, la foi et l’amour.
Tout d’abord, l’étude nous apporte la foi car notre étude est principalement centrée sur la vérité sacrée de Dieu. L’étude de Dieu consiste à se concentrer sur l’œuvre de Dieu dans le monde et ainsi à accroître nos connaissances et à approfondir notre compréhension de la sagesse de Dieu. Jésus corrige les Sadducéens, « Vous vous égarez, en méconnaissant les Écritures et la puissance de Dieu. » (Mt 22, 29). Si nous doutons de l’amour et de la miséricorde de Dieu pendant cette période de trouble, c’est parce que nous ne connaissons pas les Écritures.
Deuxièmement, l’étude nous apporte l’amour parce que Dieu est amour. En étudiant les Écritures, nous en apprenons davantage sur l’amour de Dieu. En étudiant le monde à travers les sciences et la vie, nous pouvons voir plus clairement la présence de l’amour de Dieu dans les œuvres de charité, dans la création et dans les bonnes actions des gens. Si nous ne savons pas à quel point nous sommes aimés par Dieu, nous pouvons perdre notre foi en Dieu et tomber dans le gouffre de l’insécurité et de la peur.
Troisièmement, l’étude nous apporte l’espérance, car Dieu est la source de notre espérance. Le prophète Esaïe assure que « ceux qui mettent leur espérance dans le Seigneur trouvent des forces nouvelles ; ils déploient comme des ailes d’aigles, ils courent sans se lasser, ils marchent sans se fatiguer. » (Is 40, 31). Si la foi nous apporte la confiance, l’espérance nous apporte la sécurité, la confiance, la force et la paix. De nombreuses personnes se sentent aujourd’hui en insécurité parce que leurs sources de sécurité, telles que l’argent et le pouvoir, sont devenues fragiles avec le COVID19. Mais ceux qui ont l’espérance en Dieu sont en sécurité, comme il est dit dans le livre de Job : « Tu seras confiant car il y aura de l’espoir, et, protégé, tu dormiras tranquille. » (Job 11, 18)
L’étude est comme un chemin qui nous mène à l’amour de Dieu. Nous ne pouvons pas aimer ceux que nous ne connaissons pas. Sainte Catherine de Sienne disait : « Celui qui en sait plus, aime plus ». En effet, il est clair pour moi que plus j’étudie, plus je comprends l’amour de Dieu, plus je me rapproche de Dieu et des autres. Les scientifiques étudient pour trouver le vaccin contre le coronavirus ; nous sommes des praticiens spirituels appelés à étudier pour découvrir le vaccin spirituel pour lutter contre le virus spirituel.
3) La communauté : la vie commune est peut-être plus difficile avec Covid19, car nous sommes appelées à observer la distanciation sociale. Bien que cela s’applique à la sphère publique, c’est aussi un défi pour les communautés religieuses où la vie commune est cruciale. Comme de nombreuses communautés ne peuvent pas prier ensemble ou manger toutes ensemble comme nous en avons l’habitude, nous sommes appelées à trouver de nouvelles façons de favoriser la vie commune. Beaucoup de sœurs sont très créatives dans la manière dont elles soutiennent l’idée de vie commune par le biais du repas ou de la prière commune via zoom. L’éloignement social est impossible pour les sœurs des pays pauvres comme le Vietnam, car beaucoup de sœurs doivent partager la même chambre. Comment peuvent-elles observer la distanciation sociale lorsque 13 novices partagent une même chambre ? Partager un espace avec tant de personnes semble dangereux en cette période de COVID19, mais les Sœurs ne se plaignent pas et acceptent admirablement la réalité et les contraintes de leur communauté. Alors que le COVID19 remet en question notre vie commune de manière pratique, la communauté est également l’une de nos forces pendant cette période. Alors que Covid19 a conduit au stress, à l’anxiété, à la peur, à la tristesse et à la solitude pour de nombreuses personnes, la communauté nous aide à maintenir des liens, à être en relation et à nous sentir aimées en travaillant toutes ensemble pour répandre l’amour et résister aux forces de l’isolement.
4) Le service : en tant que dominicaines, nous sommes appelées à servir la Parole. Sommes-nous appelées à prêcher devant de grands rassemblements ? Ces temps ne sont peut-être pas propices à la prédication à ce titre, mais il existe de nombreuses façons de prêcher la Parole. Outre l’enseignement de la théologie ou du catéchisme en classe, nous pouvons prêcher la Parole en écrivant des réflexions pour contribuer au site Internet de la Congrégation. Et surtout, nous prêchons en servant nos frères et sœurs autour de nous dans notre vie quotidienne. Le pape Paul VI a dit avec éloquence dans son exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi : « L’homme moderne écoute plus volontiers les témoins que les enseignants, et s’il écoute les enseignants, c’est parce qu’ils sont des témoins ». En tant que prédicatrices en temps de pandémie, nous sommes appelées à être les témoins de l’amour de Dieu par notre foi, notre mode de vie et notre façon de servir.
Les Vietnamiens disent souvent que « nhàn cư vi bất thiện », c’est-à-dire « ne rien faire, c’est faire du mal ». C’est très vrai pour notre situation actuelle. Si nous ne faisons rien pour aider les autres, nous nous isolerons dans la peur et l’égocentrisme. Ce n’est pas une façon saine de vivre une vie dominicaine. De plus, le service des autres n’est pas seulement au cœur de l’identité dominicaine, mais il nous aide aussi à nous trouver nous-mêmes et à trouver le sens de la vie par notre service. Il y a peu de temps pour se concentrer sur la peur et la détresse lorsque nous sommes occupés à nous servir les uns les autres.
J’ai été touchée par l’amour et le service de nombreuses sœurs qui vivent vraiment les piliers dominicains. Ce sont des sœurs qui travaillent sans relâche pour s’assurer que les sœurs de la communauté restent en sécurité et se portent bien. Elles cousent les masques pour en faire don aux hôpitaux et aux maisons de retraite, et elles les partagent avec les autres sœurs dans les communautés et avec d’autres personnes. Ce sont des sœurs qui passent plus de temps à prier pour la paix dans le monde. Ce sont des sœurs qui font l’effort de se rendre visite virtuellement pour s’encourager et prendre soin les unes des autres. Bien que ces actes semblent simples, ils sont beaux et significatifs parce qu’ils viennent de l’amour.
Le COVID19 est mortel, mais il ne peut pas tuer l’amour que nous avons les unes pour les autres si nous ne le permettons pas. C’est donc un moment très important pour nous de travailler ensemble pour résister au coronavirus, pas pour nous isoler les unes des autres, mais plutôt pour nous aimer davantage et nous soucier davantage les unes des autres. Bien que nous ne puissions plus nous serrer dans les bras ou nous serrer la main, notre amour reste fort et se développe à mesure que nous trouvons des moyens d’exprimer notre attention et notre amour les unes pour les autres. Le virus de l’isolement ne doit pas prendre la place de l’amour dans la communauté.
[1] http://srv1.worldometers.info/coronavirus/